La demande de bibliothèque

mercredi 2 mars 2022
par  LEA
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Dès notre premier séjour au Sénégal, en 1989, nous avions identifié le besoin de livres. Nous avons tenu à répondre à la première demande de bibliothèque reçue alors. Pour nous, cette action, cette première bibliothèque devait rester exceptionnelle. Nous n’envisagions pas de nous lancer dans d’autres mises en place de bibliothèques au Sénégal.

Mais d’autres demandes nous sont parvenues, rapidement et en nombre. C’est pour pouvoir y répondre que nous avons créé l’association Lire en Afrique. Ces demandes se sont diversifiées et multipliées, cependant nous ne les avons jamais suscitées, nous n’avons pas non plus fait la promotion de nos actions par voie de presse, mais le bouche à oreille a fonctionné. Lire en Afrique s’est trouvée de plus en plus sollicitée et a dû s’organiser pour faire face à toutes ces demandes.

Sommaire
Premières demandes et premières réalisations à Yoff dès 1990
Avec la création de Lire en Afrique en 1997, la demande se diversifie
Comment les demandes nous parviennent elles ?
Les demandes émanant d’institutions municipales ou scolaires
L’évaluation des demandes

Premières demandes et premières réalisations à Yoff dès 1990

La toute première bibliothèque, réalisée en 1990, dans le cadre de l’association des ressortissants yoffois en France « ARYF », répondait à la demande d’un enseignant. Dans son précédant poste à Matam, il avait constaté que le niveau de ses élèves était bien meilleur qu’à Yoff car ils fréquentaient une bibliothèque. La visite de son école élémentaire nous a convaincues : fort taux d’échec à l’entrée en sixième, classes pléthoriques, énormes difficultés d’apprentissage du français, langue de l’enseignement au Sénégal. L’idée de créer une bibliothèque dans cette école pour répondre à la demande de cet enseignant était née. Ce projet rejoignait les objectif de l’association ARYF, à laquelle nous avons adhéré, et c’est à ce titre, que nous l’avons réalisée à l’école 3 de Yoff. Puis ce furent les jeunes, élèves et étudiants de la même localité, qui nous sollicitèrent et, en réponse, nous avons mis en place, avec eux, la bibliothèque Ousmane Sembene en 1992, au foyer des jeunes. Ce fût ensuite au tour du directeur de l’école 2 Yoff Diamalaye, de nous demander de prendre en charge la réalisation du volet bibliothèque de son projet d’ « école milieu ». Nous avons alors construit le bâtiment dans l’enceinte de l’école et équipé de 5000 livres jeunesse la bibliothèque, baptisée, "bibliothèque Aminata Sow Fall", en 1995. Elle était, à l’époque, la plus grande bibliothèque jeunesse de tout le Sénégal.

Avec la création de Lire en Afrique en 1997, la demande se diversifie
En 1994, Bara Gueye, journaliste de Ouakam, rencontré fortuitement lors d’une manifestation culturelle, nous sollicite pour sa localité. Cette nouvelle demande nous conduit à sortir de notre périmètre habituel de Yoff et des interventions réalisées au nom de l’association des ressortissants yoffois (ARYF). Nous créons une nouvelle association, dénommée « Lire en Afrique », dédiée à la mise en place de bibliothèques au Sénégal.

Sur le constat que cet l’énorme besoin de livres n’était pas pris en charge par ailleurs, Lire en Afrique s’organise pour être en mesure de répondre favorablement aux demandes jugées viables qui lui parviennent et depuis notre sortie de Yoff le réseau s’est largement développé tout en respectant un principe simple : Lire en Afrique n’est jamais à l’initiative des projets de bibliothèque.

Comment les demandes nous parviennent elles ?

Les demandes ont des origines diverses. Elles émanent en priorité de la société civile. Nous les avons classées par type de demandeurs et par ordre de fréquence :

  • Les bibliothécaires ou lecteurs des bibliothèques Lire en Afrique :
    Lors de leur déménagement ou affectation dans une autre localité, ils souhaitent y mettre en place une bibliothèque, pour continuer à en bénéficier eux-mêmes, ou bien en faire profiter leur village d’origine. C’est le cas, entre autres, de Keur Moussa et de Thilmakha.
  • Les relations familiales ou amicales des bibliothécaires :
    Mesurant l’impact de la bibliothèque sur les résultats scolaires de leurs enfants, les demandeurs en initient le projet pour leur localité d’origine comme à Mlomp par exemple.
  • Les enseignants :

    Des enseignants qui ont fréquenté une bibliothèque Lire en Afrique, ou qui ont eu connaissance de telles réalisations, sont conscients de son influence sur l’amélioration de la capacité d’assimilation des lecteurs et lectrices et cherchent à en faire bénéficier les élèves de la localité où ils sont affectés, comme ce fut le cas à Malem Hodar.

  • Les Sénégalais de la diaspora en France.
    Dans les années 90, des migrants sénégalais, installés en France, ayant eu vent du projet de Yoff, nous ont sollicitées pour leur village d’origine. Ce fut notamment le cas pour N’gor, Rufisque, Dagana, Matam, N’dande, Simbandi Balante, Bambali.
  • Les agents de développement :
    Trois agents de développement, se déplaçant de projets en projets, ont été à l’origine indirecte de nombreuses demandes. Par exemple un agent de développement impliqué dans les projets de construction d’infrastructures sur tout le territoire, a eu connaissance de la bibliothèque du foyer de Dioffior en 2005. Il a alors semé la bonne nouvelle partout là où il intervenait en donnant les coordonnées de Lire en Afrique, ce qui a généré ensuite des demandes pas toujours fiables.
  • Essaimage :
    Deux personnes, intervenant dans le secteur associatif, enseignants par ailleurs, suite à l’installation d’une bibliothèque dans leur village respectif, Mlomp et Simbandi Balante, ont fait la promotion des bibliothèques Lire en Afrique à notre insu, et ont généré ainsi des demandes dans tous les villages environnants, l’un en basse Casamance, l’autre en moyenne Casamance, dans le Balantacounda,
  • Le site Lire en Afrique et les pages Facebook :
    Dès que l’association s’est dotée d’un site puis d’une page Facebook, des demandes nous sont parvenues par ces canaux.

Les demandes émanant d’institutions municipales ou scolaires

Les municipalités :
Au fil du temps, quelques maires ou secrétaires de mairie ont souhaité faire bénéficier leurs administrés d’une bibliothèque, et, en recherchant des partenariats, ont pris contact avec Lire en Afrique. La toute première de cette catégorie fut Dagana, où en 1999, le maire nouvellement élu, nous a transmis une demande, via un compatriote rufisquois de Paris. Cette même situation s’est reproduite pour Keur Madiabel par le biais du secrétaire de mairie, tout comme à Passy.

Après 2013, date d’entrée en vigueur de la loi dénommée « acte 3 de la décentralisation », qui consacrait les communes et leur attribuait, entre autres, la responsabilité de la culture, donc des bibliothèques, certains maires ont cherché les moyens de créer des bibliothèques dans leur localité. Les locaux étaient soit d’anciens locaux, comme les anciennes mairies qu’ils réaffectaient à la bibliothèque, comme ce fut le cas à Simbandi Brassou ou à Djilor Saloum, soit en les installant dans des centres culturels flambants neufs comme à Passy, Ndoffane, Kahone ou Sébikotane.

Centre socio-collectif de Ndoffane
Centre socio-collectif de Kahone
Centre socio-collectif de Sebikotane

La mairie de Dakar
C’est surtout la mairie de Dakar qui nous a sollicitées, avec insistance, à partir de 2005. Elle avait à équiper 19 centres culturels de bibliothèques dont 13 nouveaux bâtiments venaient de sortir de terre en 2004. Nous avions déjà équipé de bibliothèques 4 de ces centres, en direct avec les populations : celui de Point E en 2005, équipé après celui de Yoff Extension en 2004 et de N’gor et Ouakam en 1997.

Nous avons résisté de nombreuses années avant d’accepter de répondre favorablement à cette demande. Nous ne nous sentions pas en capacité d’assumer cette charge. En effet comment deux bénévoles, salariées par ailleurs à temps plein en France, occupées sur leurs loisirs et vacances à faire vivre l’association Lire en Afrique, pourraient-elles trouver le temps d’assumer, en plus, les projets nés d’institutions aux moyens humains et matériels cent fois supérieurs ? Et comment pourraient-elles trouver les moyens financiers d’y faire face, n’étant subventionnées ni par la France, ni par le Sénégal ?

D’autant que si nous avions plaisir à accompagner des populations qui se mobilisaient bénévolement et avec passion pour faire bénéficier leur jeunesse de bibliothèque, nous n’apprécions guère de travailler en relation avec des élus et des fonctionnaires pas toujours motivés qui ne partageaient pas notre enthousiasme. Eux et nous représentions deux mondes très dissemblables.

A partir de 2008, dans le cadre d’un partenariat entre la région de Dakar et celle de l’Ile de France, nous avons été sollicitées pour être opératrices de leur projet triennal, liant les deux régions. Finalement, nous avons pu mettre en place de nouvelles collections dans les bibliothèques de Sacré Cœur, Derklé, Parcelles Assainies, puis, par la suite à Camberène, Fass, Gorée, Jet d’eau et Patte d’Oie. Au fil des années nous avons mis en place des bibliothèques dans 12 centres culturels de la ville de Dakar.

Les établissements scolaires
La première demande reçue en 1990 ainsi que la troisième en 1993 émanaient d’enseignants d’écoles élémentaire. Au début nous avons répondu favorablement, conscientes des besoins immenses des élèves. Le bilan en a été catastrophique. En deux ans, les ouvrages étaient dilapidés, faute de gestion et de surveillance de la part des responsables, les livres prêtés n’étaient pas restitués, la salle allouée se trouvait réaffectée à d’autres usages, parfois à l’hébergement du gardien, sans solution pour les livres. Le directeur, initiateur de la bibliothèque une fois muté, son successeur n’éprouvait pas le même intérêt pour cet équipement et décidait, comme on a pu le voir, de la fermer etc, etc. Nous avons donc cessé, sauf exception, de répondre favorablement à ces demandes vouées à l’échec.

Cette position de principe n’a pas pour autant tari ce type de demandes qui a toujours été très important dans toutes les demandes reçues.

L’évaluation des demandes

Un long cheminement sépare la demande et l’émergence d’un réel projet. C’est un processus que Lire en Afrique accompagne, en faisant préciser, point par point, les solutions concrètes que le demandeur va mettre en œuvre pour parvenir à un projet de bibliothèque réalisable et pérenne. Il faut, par exemple, se préoccuper de rechercher un local qui va accueillir les collections et les lecteurs, pourvoir aux équipements mobiliers, faire émerger une équipe de gestion, réfléchir au public à cibler, définir les modes de fonctionnement à codifier dans un règlement intérieur.

Pour étayer nos décisions d’attribuer ou non les dotations aux nombreuses sollicitations qui excédaient notre capacité de réalisation, nous avons défini un certain nombre de critères éliminatoires pour une prise de décision rapide sans aller plus avant dans l’étude du projet.

  • qualité du demandeur : est-ce un projet personnel ou collectif ?
  • nature du collectif : une structure privée, une école ou un CEM, une association de jeunes ?
  • localisation géographique : de façon à pouvoir assurer un suivi sans devoir parcourir des centaines de km pour visiter un seul projet ou passer deux ou trois jours pour accéder à une île et en revenir, nous avons privilégié certaines régions.
  • nombre de lecteurs potentiels : Ce nombre dépend directement de la densité des établissements scolaires dans la localité.

La question de la taille du lectorat potentiel est très importante. Les bibliothèques sont fréquentées à 90% par la jeunesse scolarisée et une faible partie fréquente la bibliothèque. Les bibliothèques doivent dont être créées là où il existe un bassin de lecteurs suffisant, que nous mesurons au nombre d’établissements scolaires : de préférence plusieurs écoles élémentaires, au moins un collège et un lycée.
Dans les années 90, la carte scolaire concentrait collèges et lycées dans les grandes villes, les élèves y étaient envoyés, en pension chez un membre de la famille, selon le système du tutorat. Les élèves ne rentraient au village que pour les vacances. Le besoin de bibliothèque portait alors sur les grandes agglomérations Yoff, Ouakam, Bargny, etc. Avec la décentralisation scolaire qui a vu naître des collèges d’abord, puis ensuite des lycées dans de multiples localités, le besoin de bibliothèques s’est lors démultiplié et les demandes ont afflué dans les années 2010 en suivant le même schéma.


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