Lycéenne et bibliothécaire à la bibiothèque de Kahone

samedi 15 février 2020
par  LEA
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Lors du séminaire Lire en Afrique du 17 février 2019 à Kaolack qui a rassemblé les bibliothèque du Sine Saloum, Fatou Gaye Faye, lycéenne en classe de première nous fait part de son expérience de bibliothécaire à la bibliothèque de Kahone

Précision donnée par Lire en Afrique sur la création de la bibliothèque Lire en Afrique de Kahone

La bibliothèque Lire en Afrique de Kahone a vu le jour en 2017. La demande initiale nous est parvenue par le biais de Siré Ndiaye, qui a été bibliothécaire à Malem Hodar, lorsqu’il y officiait en tant que professeur de français au collège. Notre interlocuteur local est Babacar Faye. La bibliothèque est logée au rez-de-chausée du complexe socio-collectif de Kahone. Elle dispose d’une entrée séparée.

Assurer des fonctions de bibliothécaire bénévole est un atout dans la vie

La bibliothèque de Kahone m’a été d’une très grande aide dans mes études.

Fatou Gaye Faye.J’ai commencé à la fréquenter quand j’étais en troisième, que je préparais mon BEFEM. Maintenant je suis en première. En commençant à fréquenter la bibliothèque, j’ai constaté, que mon niveau de français s’était amélioré. Je m’exprime bien maintenant en français et ça m’a permis de m’intégrer dans beaucoup de clubs. J’ai commencé à organiser la sensibilisation pour la bibliothèque. Avant même d’adhérer à la bibliothèque, j’aimais la lecture. Je faisais tout pour avoir des livres. M’impliquer dans la bibliothèque m’a beaucoup aidée. Ça m’a aidé aussi à préparer mon BEFEM. J’ai emprunté des livres, surtout des manuels de français et des romans et j’ai été reçu au BEFEM deuxième du centre.

Grace à la bibliothèque, j’ai osé passer dans les classes pour faire de la sensibilisation, j’ai osé être présidente de club. et cette année je suis même la présidente du gouvernement scolaire. C’est la bibliothèque qui m’a aidée à m’imposer, aller dans les classes, parler en public et ça, c’est très très important pour une élève. On ne doit pas seulement être là à apprendre mais il faut parler français, s’intégrer. Même si je fais des fautes, j’ose parler et mes professeurs me félicitent dans cette lancée.

A l’école on fait nos preuves. Je suis la présidente du gouvernement scolaire et toute l’équipe de la bibliothèque participe à ce gouvernement ; nous parlons français, nous passons dans les classes. Les élèves nous traitent parfois de vaniteux. On s’en fiche. On se dit que nous sommes des élèves qui fréquentons la bibliothèque et donc nous devons montrer le bon exemple. Et même des professeurs nous enseignent ça aussi.

Avec la bibliothèque, j’ai été amenée à côtoyer des écrivains et à écrire moi même

J’ai lu le livre de Safia Otokoré « Safia, un conte de fée républicain » et je l’ai contactée sur Facebook. Je lui ai dit : « j’ai lu votre livre, je vous admire et tout ». Elle m’a répondu une seule fois. J’ai contacté aussi Waris Dirie pour son livre « Fleur du désert : du désert de Somalie à l’univers des top-models ». J’aime les livres autobiographiques, les livres qui parlent de la réalité. Waris m’a répondu aussi une seule fois. Mais je ne l’ai plus contactée depuis.

J’ai lu beaucoup, beaucoup de livres. Je ne peux même pas les compter parce que j’aime la lecture. J’ai même osé écrire. J’ai commencé à écrire un livre que j’ai appelé Seydou.

En seconde j’ai commencé à faire la sensibilisation et à inviter mes amis à venir fréquenter la bibliothèque.

J’ouvrais la bibliothèque régulièrement, les lundis et les mercredis et même les samedis ou bien les vendredis. Chaque fois que j’étais là-bas avec d’autres bibliothécaires, j’incitais d’autres lecteurs à venir et à gérer la bibliothèque. Monsieur Faye m’a confié personnellement la gestion de la bibliothèque parce qu’il a compris que moi, j’aime la lecture. Cette année-là il y avait d’autres bibliothécaires qui étaient en classe de terminale. Ils ont tous eu leur bac d’office. Ils sont donc partis à l’université. C’est nous qui sommes encore à Kahone qui gérons la bibliothèque.

A Kahone, j’ai constaté que les élèves sont très peu intéressés par la bibliothèque mais ça marche quand même grâce aux seuls élèves qui sont passionnés et viennent souvent. Moi ça ne me suffit pas, c’est pourquoi je fais de la sensibilisation. Même si beaucoup d’élèves ne viennent pas, il y a notre petit groupe de passionnés sur qui compter. Par exemple, des élèves comme cette amie là, à côté de moi, viennent m’aider à nettoyer la bibliothèque et à la tenir propre. C’est super important. On arrive à gérer la bibliothèque et avec l’aide de Babacar Faye, la bibliothèque marche quand même.

J’incite aussi les professeur à adhérer à la bibliothèque

J’invite aussi les professeurs à venir à la bibliothèque parce qu’il y a des œuvres qui sont uniquement pour les professeurs comme « lettre à un jeune professeur » (du pédagogue Philippe Merieu. Moi j’ai pris ce livre je l’ai montré à un professeur de français et il m’a dit qu’il est super important. Il s’est abonné à la bibliothèque en donnant 1000 FCFA. Il a lu le livre, puis il est venu rendre le livre en disant que c’est très très important et qu’il va aussi inciter les autres professeurs à venir à la bibliothèque.

Les lecteurs sont attirés par des animations de bibliothèque.

Les élèves viennent à la bibliothèque par amour de la lecture mais aussi parce qu’ils sont attirés par des animations. L’année dernière j’étais en seconde, avec mes camarades qui sont en classe de terminale, nous venions à la bibliothèque pour discuter.
Par exemple on prend le livre de Mariama Ba « une si longue lettre » avec le thème central de la polygamie. On discute du thème central avec des hommes, moi je suis une femme. Comme je suis émancipée, dans la discussion, je me mets toujours aux côtés de Aïssatou qui, dans le livre, a osé partir. Les autres vont dire que, non, Aïssatou n’est qu’une révoltée.
On prend ensuite un autre livre pour discuter du thème central. Monsieur Faye nous a dit que c’est bien de faire comme ça. Si quelqu’un vient à ce moment-là pour chercher un livre, il va s’asseoir et discuter avec nous. C’est comme ça que nous attirons de nouveaux lecteurs : certains ne viennent d’ailleurs que pour discuter. Ils aiment bien jouer à qui va convaincre l’autre.
Moi par exemple, je vais essayer de les convaincre que la femme ne doit plus être l’accessoire qui « orne », comme l’a si bien dit Mariama Ba. Ils vont s’opposer à cette idée et dire que la femme doit être docile. On discute de tout et de rien. Ça favorise aussi le fait de manier la langue française en discutant en français et pas en wolof. Ceux qui n’ont pas l’habitude de s’exprimer ont des idées à partager et pour y arriver ils vont être obligés de parler français. C’est un atout.

Le problème qui se pose à Kahone est que les enseignants n’ont pas l’habitude de nous aider.

C’est seulement les élèves, c’est-à-dire nous qui aimons la lecture qui gérons la bibliothèque et qui allons sensibiliser les élèves. Mais si les enseignants pouvaient nous aider comme vous, par exemple, qui êtes professeur et vous impliquez dans la gestion de la bibliothèque de Keur Madiabel.
Si un enseignant encourage les élèves à aller à la bibliothèque, les élèves penseront : « c’est le professeur qui nous a dit de venir » et ils viendront. En revanche, si c’est nous, en tant qu’élèves, qui invitons d’autres élèves à venir fréquenter la bibliothèque, ils diront : « non celle-là me dit d’aller à la bibliothèque, mais je ne vais pas y aller ».

Mais si on pouvait sensibiliser les professeurs pour qu’ils nous aident à convaincre les élèves, ce serait plus facile.

La relation avec les Autorités est difficile

Je n’étais pas là quand bibliothèque a été installée à Kahone. Le local nous a été donné par la maire, il est situé au rez-de-chaussée du centre socioculturel.

Quand je suis là-bas en train d’attendre les autres avec les ventilateurs allumés, le gardien arrive et me dit d’éteindre les ventilateurs. Et pourquoi donc devrait-on les éteindre ? Il y a même un climatiseur, mais on ne nous en a même pas donné la télécommande. Le gardien nous a dit c’est le maire qui paie l’électricité ça n’est pas pour la bibliothèque.

Parfois, nous constituons un groupe pour aller voir le maire. On ne le voit jamais, il n’est jamais à la mairie. Si vous venez chez lui sa femme vous dit : non Monsieur le maire n’est pas là. Et pourtant, vous apercevez ses pieds, il est là. Ça n’est pas bien. C’est nous qui l’avons élu, non ? Quand on va à la mairie, ses adjoints ou adjointes nous disent d’aller voir le maire, mais vous ne pouvez même jamais voire le maire. Il est impossible à voir. Il nous arrive même d’aller au bord de la route pour attendre sa voiture. S’il passe nous irons à la mairie pour le joindre. C’est catastrophique pour un maire qui est élu par la communauté. C’est pourquoi, je ne vais jamais faire recours au maire ou à la communauté.

Nous faisons fonctionner la bibliothèque avec nos propres moyens

Nous, nous utilisons l’argent des inscriptions. Par exemple si les élèves viennent et nous disent on a besoin de « une si longue lettre », il n’y a qu’un exemplaire à la bibliothèque Nous prenons nos fonds et nous allons au marché pour acheter les livres qui manquent. C’est comme ça que nous fonctionnons. Pour l’animation aussi nous le faisons par nos propres moyens. Nous animons la bibliothèque et c’est simple pour nous car nous avons des idées à partager. Nous n’avons même pas besoin d’argent pour le faire. Comme disposons de beaucoup de chaises parce que nous sommes logés au centre socioculturel. On emprunte ces chaises et tout le monde peut s’asseoir et discuter. Pour moi la bibliothèque ne doit pas seulement faire chaque fois appel à la mairie. Parce qu’ils nous ont peut-être donné le local mais nous interdisent d’allumer les ventilateurs. C’est catastrophique.

Un cadre de collaboration entre les bibliothèques du secteur de Kaolack serait utile

Eliane et Marie Josèphe, vous venez de France, n’est-ce pas ? C’est un très long trajet pour venir jusqu’ici. Mais si nous pouvions nous regrouper chaque trois mois entre bibliothèques du secteur de Kaolack. Ce mois-ci, par exemple, ce serait la bibliothèque de Kahone qui inviterait et regrouperait les bibliothécaires avec pour thème de la réunion : « comment mieux sensibiliser les élèves et aussi des enseignants à la fréquentation de la bibliothèque ».

il nous faut créer un réseau régional, nous organiser, faire des retrouvailles, partager des idées. On s’invitera. Parfois on ira à Keur Madiabel parfois à Kahone, ainsi de suite... Moi, je suis pour.


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