Lamine Diatta, Bibliothécaire à Mlomp

vendredi 21 décembre 2018
par  LEA
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Avec la bibliothèque de Mlomp qu’il gère depuis 2005, Lamine Diatta a pu mettre en pratique son goût pour la pédagogie, son souhait de voir les enfants s’ouvrir au monde par la lecture. En plus de sa fonction de bibliothécaire, Lamine suit les bibliothèques Lire en Afrique de la boucle du Blouf en Casamance et assure la formation des nouveaux bibliothécaires de ce secteur, depuis 2016.

Une passion, l’encadrement des enfants

J’ai toujours aimé encadrer les enfants. En 1972, j’étais à Dakar et les fonctionnaires originaires de Mlomp, en poste à Dakar, m’ont demandé d’encadrer leurs enfants. Je m’étais inscrit personnellement à la bibliothèque de l’Alliance Française et, le samedi, je rassemblais tous les enfants et je les conduisais à la bibliothèque de l’Alliance où je les avais inscrits pour qu’ils puissent fréquenter les livres. J’ai vu alors, en tant qu’usager, comment on gérait les prêts à l’Alliance.

De tous les enfants que j’ai encadré à cette époque, il y en a un qui est devenu ingénieur informaticien. Il avait raté son entrée en 6ème et ses parents m’ont proposé de lui donner des cours de soutient. Ils me payaient 2000 FCFA par mois (3 Euros). Il a été reçu en 6ème, puis en 3ème à l’examen d’entrée du prytanée militaire [1] ensuite, il est parti étudier en Côte d’Ivoire. Son frère, que j’ai encadré également est aujourd’hui professeur à Ziguinchor.
Je me souviens aussi d’un enfant de chez nous, qui était à Dakar, à qui on payait des cours de soutient mais ça n’allait pas. Son père l’a rapatrié à Mlomp et m’a demandé de l’encadrer. Aux premières compositions il a été premier et ensuite, il a réussi ses examens.

J’ai toujours lu et ça m’a permis de continuer à m’exprimer en français. Mes camarades de classe de l’époque, les années 60, ont cessé de lire et ils ont perdu la connaissance du français, mais moi, comme j’ai toujours lu, et que je m’exprime souvent en français, je n’ai pas perdu le français.

Lamine est choisi comme bibliothécaire pour ses compétences de gestion

En 2005 Kader Diatta, le promoteur de cette bibliothèque à Mlomp m’a demandé d’en devenir le bibliothécaire. Il était professeur de français au lycée de Matam où il avait rencontré Lire en Afrique. S’il a pensé à moi, c’est parce que, dans le village, j’ai eu à gérer divers projets que j’ai mené à bien, avec opiniâtreté. J’ai géré une boutique où j’ai acquis des notions des gestion, de stockage, de classement. J’ai géré aussi la case de santé du village, acheté les médicaments, géré le personnel. Dans ma jeunesse, on m’a confié la direction du théâtre de Mlomp où j’ai réussi et j’en suis toujours le directeur [2].

Kader m’a expliqué les objectifs de cette bibliothèque : il fallait inciter les élèves à lire pour augmenter leur niveau scolaire.
Quand les livres sont arrivés, je les ai classés par catégories : dictionnaires, romans, œuvres au programme, albums etc. Puis j’ai fait une sensibilisation dans toutes les classes pour faire connaître la bibliothèque. Les enfants sont venus en masse. En 2008 j’ai inscrit 500 lecteurs. En 2010, vous m’avez attribué le prix d’excellence des bibliothèques Lire en Afrique.

Lamine DIATTA dans sa bibliothèque Lire en Afrique de MLOMP (Bignona) en 2016 Lamine DIATTA dans sa bibliothèque Lire en Afrique de MLOMP (Bignona) en 2013
Lamine dans sa bibliothèque
Séance de prêt bibliothèque Lire en Afrique de MLOMP (Bignona) en 2012 La bibliothèque de Mlomp (Bignona) reçoit le prix d'excellence des bibliothèques Lire en Afrique en 2010
Séance de prêt Mlomp reçoit le prix d’excellence des bibliothèques Lire en Afrique en 2010

Il faut mettre les enfants très tôt en contact avec les livres

Parmi les lecteurs, ce sont les filles qui dominent. Je dois dire qu’il y a surtout des filles. L’une d’entre elles, Aissatou Diatta [3] est une grande lectrice, elle lit surtout les fictions jeunesse, les séries de « grand galop ».

Les petits du préscolaire viennent ensemble, par famille, accompagnés des plus âgés. Ils sont venus très nombreux. Je leur présente la zone des albums, ils choisissent et peuvent les emporter à la maison. Un jour, j’entends un petit garçon qui ne sait pas lire raconter un livre à un autre. Je vérifie le contenu. Il disait vrai. Il avait compris l’histoire, à la seule vue des images. J’ai alors compris qu’il y a deux façons de lire, l’une par le texte, l’autre par les illustrations des livres. C’est comme si les enfants absorbaient les images.

Cela m’a convaincu de l’intérêt de mettre les plus jeunes en contact des livres, même s’ils ne savent pas encore lire.
Les enfants choisissent les livres qu’ils veulent lire. Ils les regardent jusqu’à ce qu’ils trouvent celui qui leur plaît.

Il y a une famille de Mlomp, tous ses enfants ont été formés à la bibliothèque. Ils venaient régulièrement, depuis le jardin d’enfants, chaque semaine. L’une d’entre eux a été reçue à Mariama Ba où elle fait de brillantes études.

La bibliothèque est la voie royale vers le succès scolaire et la connaissance

De mes lecteurs, sur ces 13 ans passés, il y en a beaucoup qui ont réussi leurs études et ont obtenus des postes d’enseignants à l’élémentaire et dans les CEM. Avant la bibliothèque, il y avait peu de bacheliers à Mlomp, mais maintenant il y en a beaucoup. Les gens instruits du village ont fait le lien entre la bibliothèque et les bons résultats scolaires. J’avais aussi des lecteurs qui venaient mêmes des villages voisins de Kartiak et de Thionk Essyl, où il y avait des lycées mais pas encore de bibliothèque. Depuis, Lire en Afrique a installé des bibliothèques dans ces deux villages, et ces lecteurs ne viennent plus. Hélas aujourd’hui, la lecture régresse. Récemment, Mlomp s’est classé dernier du département aux examens.

J’ai l’amour des livres et aussi l’amour d’encadrer les jeunes dans leur scolarité. Pour moi, être à côté des livres c’est un plaisir. Si aujourd’hui, j’ai des connaissances, c’est aux livres que je le dois. C’est aussi grâce aux livres que je n’ai pas peur de m’exprimer en français. Je peux parler français avec aisance.

Il y a beaucoup de livres qui m’ont marqué comme Robinson Crusoé. Il y a aussi un album qui parle du Cambodge et j’y ai vu beaucoup de similitudes avec notre vie à nous, ici, en Casamance. Les mêmes arbres, les mêmes fruits, le travail dans les rizières et beaucoup de choses identiques. Ça m’a étonné. J’ai découvert aussi des choses sur l’Afghanistan et l’Arabie Saoudite dans ces livres.
J’ai lu beaucoup d’albums et de fictions jeunesse pour pouvoir orienter les jeunes lecteurs. J’ai lu quelques Adoras aussi.

La bibliothèque a soutenu ma vie, ça ne m’a pas fatigué, je n’ai pas à regretter.


[1Le Prytanée Militaire est un établissement d’enseignement secondaire, dépendant du ministère des forces armées. L’accès en est très sélectif, il prend les meilleurs des écoles du Sénégal .

[2voir l’une des réalisations culturelles : les 72 heures de MLOMP en 2015 https://www.youtube.com/watch?v=-vCbGkKTRYw


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