Mamadou Ndoye : Bosyste pendant 13 ans

jeudi 6 décembre 2018
par  LEA

De 1992 à 2005, Mamadou fut l’un des bibliothécaires de la BOSY (Bibliothèque Ousamne Sembène de Yoff). Il se souvient de cette époque de sa vie qui l’a beaucoup marqué et dont il garde la nostalgie

Interview Mamadou N’doye dit Adama Ndoye

Cet entretien a été mené par l’équipe de lire en Afrique le 1° décembre 2018 à Yoff

Des premiers contacts avec une bibliothèque ...

J’ai commencé à m’intéresser à l’activité de bibliothèque en 1988, je m’en souviens parce que c’était l’année blanche.

N.B. "Une année blanche c’est l’invalidation des enseignements de l’année scolaire en cours. La conséquence pour les étudiants : les passants redoublent leur année et les redoublants sont exclus."

Les jeunes avaient pris l’habitude de venir prendre le thé l’après-midi chez mes parents pour discuter. Alassane Faye, à l’origine de la BOSY, y participait aussi. C’est lors de ces discussions qu’est née l’idée de créer cette première bibliothèque comme une façon de ne pas perdre notre temps dans cette année blanche. J’ai fait partie de l’équipe qui a pris l’initiative de collecter des livres auprès des familles pour constituer un premier fonds. Chaque famille donnait au moins un livre et nous avons commencé à prêter ces livres. Les après-midis, on se rendait à l’école 3 et c’est là qu’on se prêtait les livres collectés.

En 1989, j’ai repris l’école, j’étais en sixième au collège de Yoff, alors j’ai laissé tomber cette bibliothèque.

En 1990, à l’école Yoff 3, lorsque vous avez inauguré la bibliothèque que vous y aviez mis en place , j’étais là, présent aux portes ouvertes que vous y aviez organisées.

En Août 1992, alors que je jouais au football, avec des camarades sur le terrain près du cinéma, Alassane Faye m’a demandé de venir l’aider pour préparer l’inauguration de la BOSY. (Bibliothèque Ousmane Sembène de Yoff) au foyer des jeunes de Yoff. J’y suis allé avec un camarade, c’était une semaine avant l’inauguration. J’ai trouvé là beaucoup de monde en train de travailler, il y avait Alassane, Marie Josèphe, Éliane, et d’autres. Certains rangeaient, d’autres nettoyaient, d’autres tamponnaient les livres, d’autres enregistraient. J’ai commencé à fouiller dans les cartons avec mon ami, les livres m’impressionnaient. Éliane a dit et je m’en souviens encore, « Que font ces jeunes, s’ils ne travaillent pas, qu’ils s’en aillent ! ». Mon camarade est parti, mais moi, je suis resté. Alassane m’a présenté une pile de livres et un tampon et m’a demandé d’apposer le cachet sur la page 1 puis 19 puis 59 des livres à enregistrer etc. C’était ma première tâche à la BOSY. Après on a tout mis en place et fait le nettoyage. On a travaillé de façon intense pendant une semaine. Le jour de l’inauguration, tout le monde est venu en boubou traditionnel. C’était la consigne et Marie Josèphe a filmé.

... à l’intégration dans l’équipe de bibliothèque...

Depuis l’inauguration en Août 1992, j’ai fait partie de l’équipe de bibliothécaires sans interruption jusqu’en 2005. J’ai quitté ensuite parce qu’il y avait beaucoup de conflits au sein de l’équipe. Il y avait les tenants de l’ouverture et les autres qui voulaient rester entre eux.

Je me suis longtemps occupé des adhésions. Il fallait encaisser la cotisation, confectionner les cartes, tenir le registre des adhésions.
J’ai aussi été le trésorier de la BOSY pendant 13 ans. Quand il y avait des dépenses à assurer, mais pas de ressources suffisantes, je demandais à mon père d’avancer l’argent pour la BOSY et quand on pouvait rembourser, je le remboursais. Mon père avait une bonne situation, il travaillait à l’ASECNA.

En plus, nous assurions également d’autres responsabilités, j’étais responsable du rayon jeunesse, ensuite c’est Adama Dione qui m’a succédé. Il y avait une complémentarité entre nous, çà tournait bien . Chaque jour, il y avait une équipe dédiée, avec un responsable. Les lecteurs assidus, c’est à dire présents à la bibliothèque presque chaque semaine, intégraient l’équipe. On leur expliquait le classement, on leur confiait de petites tâches comme par exemple trier les livres à reclasser par catégorie : documentaire, roman, etc, puis les reclasser dans les rayonnages, tenir le registre des prêts. Ils comprenaient qu’ils servaient à quelque chose à la bibliothèque. Ils étaient tenus de venir, s’ils avaient à s’absenter, ils devaient prévenir pour qu’on puisse les remplacer. Il fallait aussi tenir compte des liens de parenté, par exemple, si un frère et une sœur venaient, on devait intégrer les deux dans l’équipe, sinon çà posait des problèmes avec la famille.

Quels sont les recettes du succès de la BOSY ?

Nous avons fait un travail formidable, un travail excellent, je dirais même, exceptionnel. On conservait nos livres, on avait peu de pertes, ils étaient maintenus en bon état. On savait fidéliser nos abonnés. Notre groupe de l’époque a su allier le bénévolat et la poursuite des études avec de bons résultats scolaires.

On a réussi à faire évoluer la bibliothèque. Nous avions une réunion périodique de tous les bibliothécaires. Le seul sujet à l’ordre du jour était le bon fonctionnement de la bibliothèque. On discutait des idées, des initiatives à prendre. C’était souvent Alassane, Big John ou moi qui proposions des idées pour constamment nous améliorer. On a, par exemple, créé des équipes de 7 bibliothécaires par journée de prêts, mercredi, samedi, dimanche ce qui représentait, en tout un groupe de plus de 20 bibliothécaires. Dans une équipe, les tâches étaient bien définies et réparties, mais çà tournait si bien que chacun finissait par connaître toutes les tâches à effectuer dans une bibliothèque.

Il y avait aussi les journées culturelles annuelles qui faisaient rayonner la BOSY. Les bibliothécaires passaient dans les écoles de Yoff, on organisait des concours de dictées, de calcul, de poésie. A cette occasion, les élèves étaient invités à venir à la BOSY, ils découvraient les livres et souvent ils adhéraient. Ces journées, vraiment, c’était une grosse promotion pour la bibliothèque.

Le fonds documentaire était très riche, les lecteurs y trouvaient toujours ce qu’ils cherchaient.

L’intensité de notre travail, on ne la ressentait pas, parce qu’on était impliqué et que les tâches étaient bien réparties. A une certaine époque, je ne m’occupais que des adhésions et parfois même j’avais des seconds. Il y avait une bonne ambiance, on se retrouvait entre jeunes de la même génération.

Notre quotidien : le mercredi à 14H30, il faut que la bibliothèque ouvre. Même chose le samedi et le dimanche. J’allais à côté, chez Alassane, prendre la clé, puis j’allais ouvrir la bibliothèque. Il m’arrivait même, à la saison des pluies, lorsqu’on qu’on attendait la pluie, la nuit, d’aller chercher la clé chez Alassane et de foncer à la bibliothèque pour pousser les rayonnages qui étaient en risque parce qu’à une époque il y avait des infiltrations par la terrasse. Je m’adossais au mur et je poussais les rayonnages avec mes pieds, parce que c’était lourd.

Pendant ces 13 ans, la bibliothèque a toujours ouvert, nous étions une équipe d’une vingtaine de bibliothécaires, les 3 équipes étaient de 7 personnes et sur la quantité, il y avait toujours assez de gens pour tenir tous les postes. Nous étions organisés par quartier. Quand un abonné ne rendait pas les livres dans les délais, nous passions chez lui.

Les initiatives issues de la BOSY

La BOSY a été à l’initiative de beaucoup de choses qui se sont produites à Yoff.
Par exemple, lors de la création de l’association des étudiants, c’est moi, trésorier de la BOSY, qui ai fait les convocations à tous les adhérents de la bibliothèque qui étaient étudiants. Ensuite les élèves de seconde à terminales ont aussi été intégrés dans cette association.

Mamadou Samba était lecteur au début, surtout intéressé par la lecture du monde diplomatique parce qu’il aimait les relations internationales. Quand la fondation Nicolas Hulot est venue, il s’est orienté vers cette structure et s’est tourné vers l’environnement.

Lorsque monsieur Thiaw, de retour du Gabon où il enseignait les sciences, a voulu créer l’ADY, avec d’autres adultes de ses amis, parce qu’ils ne s’entendaient pas très bien avec l’APECSY, c’est à la BOSY qu’il a fait appel. Il n’y avait pas de jeunes à l’ADY, ce sont les bibliothécaires de la BOSY qui s’occupaient de leur secrétariat.
Puis il y a eu la création du journal Penchem Yoff qui a paru pendant plusieurs années. Ce sont les bibliothécaires de la BOSY qui se sont impliqués pour faire vivre ce journal local qui était très bien diffusé.

Et sur le plan personnel ?

Personnellement, avoir participé à la BOSY en tant que bibliothécaire, m’a facilité le contact avec les gens. Nous avons été formés sur le plan associatif. De plus avec la lecture, la fréquentation des livres, on a acquis beaucoup de connaissances. Nous avons appris à gérer un groupe, à pratiquer la diplomatie dans ce milieu où tout peut partir en querelle sur une broutille, comme on dit ici : « ce sont des histoires de borne fontaine ». Un ami m’a dit « A Yoff, il faut rester en périphérie, pas au centre, sinon tu es happé par le tourbillon du cyclone ».

La BOSY a formé beaucoup de jeunes qui ont, depuis, fait de très belles carrières par exemple Mor Fall est inspecteur des finances, Babacar Sylla médecin en France, Mame Diarra gère une société immobilière, Babacar M’bengue est maintenant docteur agrégé en pharmacie, il enseigne à l’université de Dakar, Ibrahima Gueye est DRH chez Dakar Dem Dick, Amadou N’doye est diplomate, il est en poste en Guinée. Beaucoup de bibliothécaires et de lecteurs ont réussis leurs études et beaucoup sont devenus enseignants, Alpha Dione est enseignant. Adama Dione est maintenant policier. Il est affecté à Tivaouane mais il revient quelque fois les week end puisqu’il est véhiculé.
J’ai enseigné l’informatique mais je n’aime pas répéter toujours la même chose, j’ai quitté.

Personnellement, ce qui m’a intéressé dans cette aventure, c’était d’aider. J’ai un esprit très associatif. J’aime servir les autres. Pour moi la BOSY c’était extraordinaire.
Maintenant la BOSY ne fonctionne plus. Dernièrement, alors que j’allais à une réunion à l’APECSY, je suis passé à la BOSY que j’ai trouvé dans un état lamentable, il manquait des rayonnages, il n’y avait plus beaucoup de livres. J’ai demandé à ceux qui étaient là ? Personne ne savait.

Il y a trois mois, à la plage, Abou m’a appelé pour me dire « j’ai besoin de toi », je suis allé chez lui, il veut que l’on relance la BOSY. J’ai convoqué quelques anciens de la grande époque, nous allons discuter entre nous pour réfléchir à ce qu’il est possible de faire, puis rencontrer l’équipe actuelle pour voir comment relancer cette bibliothèque. Nous avons eu des milliers de lecteurs comment peut-on relancer la fréquentation ?

Enregistrement des adhérents Formation Animation jeunesse Ouakam 2003 Animation jeunesse 2003

Maguette N’doye, épouse de Mamadou était également bibliothécaire à la BOSY. Voici son témoignage

J’ai aussi fait partie de l’équipe de bibliothécaires, c’est là que j’ai rencontré Mamadou. C’est grâce à la BOSY que j’ai réussi mes études. A l’université j’ai étudié les sciences. Je me suis aussi formée à la vie associative. J’étais très timide, j’ai dû apprendre à communiquer avec les autres et ça m’a beaucoup aidée. Maintenant je peux travailler avec mes collègues en harmonie. J’ai appris beaucoup de choses. J’ai arrêté en 2008 et je me suis mariée en 2010. Aujourd’hui je travaille chez Microcred. Je viens d’être affectée à l’agence de Parcelles Assainies comme gestionnaire de portefeuille.